
J'ai croisé son regard à la piscine. C'est un regard d'homme, focus, perçant, souriant, intéressé. C'est un regard plongeant dans les tréfonds de mon être, sans sourciller, sans demander l'autorisation. C'est un regard puissant et franc, sans concession. C'est un regard direct de connexion à l'âme.
J'ai rarement eu l'occasion de rencontrer cette manière de regarder…quoique, si, peut-être, mais je n'étais alors pas capable d'en traduire toute la beauté !
Ce regard est tellement profond que j'ai du mal à le soutenir. C'est pourtant un jeu auquel je me suis souvent prêtée. Ce regard là voit au-delà de moi !
Je me suis sentie amusée de découvrir les rituels de vie, les rituels d'activités, de ce regard là. Je me suis étonnée de cette manière de communiquer à la fois si proche et si lointaine, si individuelle et si détachée. J'ai douté de l'intérêt réel de ce regard à rentrer en lien avec qui j'étais. Je me suis interrogée, j'ai cherché, analysé, mentalisé puis j'ai lâché, un peu dans la fuite toute de même !
Mais cette nuit, une nouvelle fois ce regard est revenu me chercher au-delà de mon petit moi. Il n'est pas venu dans ma tête, il s'est infiltré dans toutes les petites fibres nerveuses de mes jambes pour les tordre dans un inconfort extrême et douloureux. J'ai observé le phénomène, depuis ma conscience en éveil, et je me suis accrochée à ma respiration pour qu'elle reste la plus douce et régulière possible. Les spirales nerveuses sont remontées en longues flammèches jusqu'à mon torse qui s'est soulevé en de multiples impulsions incontrôlables. C'est là que l'information transmise quelques heures auparavant par le psychologue est venu frapper ma conscience : neuroatypie autistique possible.
Je me suis reconnectée, par cet effet miroir, à ma propre part neuroatypique. Quel meilleur moyen que de trouver la voie de l'individuation dans le collectif, connectée au vivant par ces êtres d'exception ?
De mon hypersensibilité, de mon hyper émotionnalité, j'observe ceux qui semblent être sans affect, égoïstes et auto centrés, uniquement plongés dans leurs centres d'intérêts sans capacité de connexion avec nos parts neurotypiques humaines. L'accueil de ma part autistique me permet d'accéder à ce besoin de silence, de solitude, de connexion différente, de rapports humains vrais, loin des codes sociaux désincarnés, loin de la bienveillance mielleuse et écœurante. Cette bienveillance si puissamment prônée aujourd'hui, n'est-elle pas une recherche d'attachement à son petit soi ? Comment pouvons-nous prétendre vouloir être reconnu.e et aimé.e pour ce que nous sommes ? Comme nous ne sommes rien, en réalité, pourquoi avoir besoin d'une validation extérieure pour être ?
J'ai la sensation de m'éloigner des neurotypiques moutonniers et aveugles, comme pour rentrer dans ma bulle autistique.
J'ai l'impression de me rapprocher des neuro atypiques passionnés et passionnants, puissamment connectés à leur chaos profond. Ces personnes particulières, que je ne voyais pas jusqu'à peu, me sont révélées en pleine lumière. La leur, la mienne, je ne saurais dire et j'avoue que cela a bien peu d'importance.
Je me suis reconnectée à ma part neuroatypique par le contact physique dans l'anonymat d'une salle de danse. J'ai touché des corps et été touchée, dans le respect et la pleine conscience ; sans autre musique que celle des corps en mouvement ; dans le rythme et le Momentum de contacts improvisés par l'univers lui-même. Magie de cette connexion à soi et aux autres, sans mot, sans mental, sans connaissance de qui est qui. C'est tout à la fois puissant, grisant, grandiose.
Je me suis réveillée de mon mode survie, et je goûte enfin à la vie, à partir de l'instant, cet autre endroit.
Aimer une personne neuroatypique, est-ce possible ?
Mes dernières transes nocturnes viennent de m'apporter une réponse claire, dans la dépose de ma vague émotionnelle : Oui !
Avec des conditions particulières :
- Lâcher le besoin d'attachement. Cet attachement n'est qu'une dépendance à l'amour que chacun.e se donne insuffisamment à lui-même. Je ne peux aimer l'autre vraiment que si ce n'est pas moi que je cherche à aimer à travers cet autre. Cette personne reste libre, et je l'aime libre.
- Être responsable de son bien-être et de ses limites. Je ne peux attendre de l'autre de porter la responsabilité de mon bien-être et de mon bonheur. Cette responsabilité me revient intégralement dans les limites claires qu'il m'est nécessaire de poser, celles de mon espace physique et intime, celles de ma sphère personnelle de vie. Loin de l'égoïsme, c'est de la conscience et du respect de ses propres besoins. Encore faut-il apprendre à les reconnaître et les respecter !
- Co construire la relation à partir de cet amour libre et de cette responsabilité individuelle, dans la mouvance de la vie et les surprises du vivant. Cela veut dire aussi une nouvelle manière de vivre pour découvrir une relation vraie à partir de chaque instant partagé et pleinement gouté. Cela veut dire se défaire du passé, de nos légendes personnelles pour être là, pleinement présent à ce qui est, et tisser un lien à partir de chaque moment unique.
Cela durera le temps pendant lequel chaque individu de cette relation se sentira regardé, de manière focus, perçant, souriant, intéressé et vibrera de bonheur dans sa réalité interconnectée !


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